Exploitation illégale d’arbres menacés par des Chinois ; de 20 € en RDC, le m³ est vendu à 1.100/2.000 € en Occident et Asie

0 0
Read Time:12 Minute, 32 Second

Par Kiki Kienge

Cette enquête passée presque inaperçue aux yeux des Congolais, démontre la manière dont est exploitée la RD Congo et son peuple, pas seulement dans le domaine minier, mais notamment dans l’exploitation de ses forêts et autres, par des entreprises étrangères en complicité avec les autorités du pays.

À lire les témoignages de cette enquête, on pourrait croire que le temps de l’exploitation du sadique roi Léopold II de la Belgique, coupant des mains des autochtones pour ne pas avoir respecté le quota de caoutchouc a récolté, ni les sévices subis par les Congolais dans les mines pour extraire le cuivre sous la colonisation, n’est pas encore révolus pour le pauvre peuple Congolais. Qui vit encore sous l’esclavage des étrangers et l’exploitation par une élite, qui n’est autre que leurs propres frères Congolais.

C’est une enquête de Planeta Futuro et du média Espagnol, El País qui révèle l’extraction illégale d’espèces d’arbres menacées, publiée en juin 2022 par Mongabay.

Cette enquête, si importante pour la RD Congo et pour la défense de la biodiversité mondiale, semble n’avoir pas eu beaucoup d’impact et d’écho en RD Congo et même sur le plan international.

Voilà le motif de notre publication aujourd’hui, afin d’alerter la population Congolaise et leurs autorités sur le risque de leurs forêts, qui restent un patrimoine de l’humanité.

Des entreprises appartenant presque toutes à des citoyens Chinois, qui exploitent dans le nord de la RD Congo l’Afrormosia, une espèce de bois rare et menacée du fait de sa grande demande sur le marché international.

Utilisant des permis irréguliers pour l’exploitation et l’exportation, falsifiant les calculs des quotas d’exportations, au mépris de la loi congolaise, en complicité avec les autorités locales et nationales, leurs sociétés sont même sécurisées par des militaires de l’armée Congolaise et de la police nationale.

Ces étrangers violent sans pudeur les droits du travail, des droits humains des communautés locales, de la biodiversité et des écosystèmes vitaux pour le climat mondial.

Ce sont eux qui décident du comment, combien et surtout de quand du paiement de certaines taxes, mais encore plus le non-paiement des taxes sur les revenus et la pollution.

INTÉGRALITÉ DE L’ENQUÊTE SUR LE BOIS ( Planeta Futuro/El País)

BASOKO, RDC (16 mai 2022) – À Yaliwasa, dans le nord de la RDC, des bois précieux vieux de 200 ans pourrissent au cœur de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Ils ont été abattus à la hâte pour être exportés vers des centres de traitement en Chine, puis redistribués vers des marchés haut de gamme en Asie et sur d’autres continents. Et pourtant, le bois se désagrège et des gros champignons orange poussent sur les grumes.

Certaines grumes ne sont pas marquées, mais toutes appartiennent à Fodeco, une entreprise chinoise sans aucune expérience en exploitation forestière industrielle qui, en 2015, a obtenu une concession d’une superficie équivalente à plus de trois fois la ville de New York. La société est entrée en conflit avec les communautés locales au sujet des compensations et celles-ci ont depuis empêché l’évacuation du bois.

« D’autres entreprises [chinoises] paient des policiers ou des militaires pour protéger leurs intérêts, mais nous ne pouvons pas nous le permettre car nous n’arrivons pas [à évacuer et] à vendre notre bois », explique le gestionnaire de la concession, Liga Guo. Il fait référence à son ancien employeur, Maniema Union, qui a obtenu des concessions illégales par l’intermédiaire d’un général congolais sanctionné par l’Union Européenne (UE) et les États-Unis pour violation des droits de l’homme.

« Je veux juste sortir les grumes, expédier le bois et foutre le camp d’ici. Mais c’est impossible de travailler comme ça. J’ai quitté la Chine pour gagner ma vie, mais ce travail va me tuer », dit-il tout en transportant des dizaines de boîtes de médicaments vermifuges vers le conteneur préfabriqué dans lequel il vit.

Fodeco est titulaire d’un des 18 contrats que plusieurs ministres consécutifs ont accordés, en violation du moratoire sur les nouvelles concessions d’exploitation forestière industrielle en vigueur depuis deux décennies. «Une vente pure et simple de concessions forestières», selon un rapport des inspecteurs des finances congolais. Ce document n’a été publié qu’en avril après des mois de pression de la part des ONG et des médias internationaux.

En aval du fleuve, une filiale de Booming Group, immatriculée à Hong Kong, exploite également des arbres menacés en violation de la législation congolaise, tandis que Xiang Jiang Mining extrait illégalement des minéraux précieux et stratégiques depuis plus d’un an.

Une enquête de Planeta Futuro/EL PAÍS a prouvé que des entreprises appartenant à des Chinois extraient illégalement des ressources naturelles dans les forêts tropicales du nord de la RDC : en travaillant avec des permis d’exploitation forestière de complaisance; en extrayant et en exportant des espèces menacées et des minéraux au mépris de la loi congolaise; et en violant les droits du travail et de l’homme avec la complicité des certains individus au pouvoir —des autorités qui font commerce des forêts congolaises au détriment des communautés, de la biodiversité et des écosystèmes vitaux pour le climat mondial.

Permis d’exploitation forestière sur demande

L’Union européenne (UE), le Royaume-Uni, la Norvège et neuf autres donateurs gardent un œil sur la RDC. Surtout après avoir promis 500 millions de dollars pour la conservation de la forêt tropicale du Congo lors du sommet des Nations unies sur le climat (COP26). La première condition de l’accord était que le gouvernement congolais publie l’audit des concessions forestières que son inspection des finances avait finalisé en mai 2020.

Le document a finalement vu le jour en avril 2021, et la ministre de l’Environnement s’est engagée à suspendre jusqu’à nouvel ordre les entreprises que le document accusait d’infractions et de non-paiement des taxes. L’ordre de suspension a été publié, mais Fodeco n’était pas sur la liste.

En janvier 2020, des rapports internes auxquels cette enquête eu accès mettaient déjà en garde contre les infractions commises par Fodeco : présentation de fausses déclarations trimestrielles d’exploitation forestière, destruction de plants avec des machines lourdes et absence de plan de gestion obligatoire.

Corruption

Cette enquête a également permis d’obtenir une déclaration datant de décembre 2020 dans laquelle la société admet avoir traité avec les autorités pour minorer le paiement de certaines taxes, et le non-paiement des taxes sur les revenus et la pollution.

Fodeco a aussi demandé un permis d’exploitation annuel avec des inventaires d’arbres « imaginaires », qui a toutefois été approuvé par la ministre de l’Environnement de l’époque, Amy Ambatobe Nyongole.

« En RDC, vous pouvez acheter n’importe quel document, n’importe quelle preuve de légalité; les administrations sont des machines à légaliser », explique un expert international, qui parle sous couvert d’anonymat car il participe à une mission de soutien des autorités congolaises en matière de gouvernance forestière.

Les documents obtenus par cette enquête montrent que Fodeco a obtenu des permis d’exploitation forestière l’autorisant à extraire 2 885 pieds d’Afrormosia (Pericopsis elata) entre 2018 et 2019. Le nord de la RDC abrite les plus grandes populations au monde de cette espèce de bois dur menacée, un arbre pouvant atteindre une hauteur de 15 étages et qui met entre 120 et 200 ans pour atteindre le diamètre d’abattage.

La demande internationale a déjà entraîné l’extinction de cet arbre dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, et ses exportations sont désormais réglementées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) grâce à un système de quotas et de certificats d’exportation.

Fodeco a été autorisée à récolter ce bois, surnommé le « Teck Africain » sur la base d’un inventaire fictif. Comme l’espèce figurait sur le papier, mais pas dans pas dans l’aire de coupe correspondante, l’entreprise est allée chercher le bois là où il se trouvait : au-delà des limites autorisées et sans tenir compte des communautés qui dépendent de la forêt pour leur survie.

Cette enquête a révélé que l’entreprise avait également acheté de l’Afrormosia à des exploitants artisanaux sans permis, et que la police judiciaire en a déclaré la saisie de 500 pièces.

Samuel Ekomba (ce n’est pas son vrai nom) est l’un des exploitants informels qui ont collecté le bois précieux pour l’entreprise. Ekomba a payé 20 $US par arbre aux propriétaires ancestraux de la forêt, et a vendu le produit scié à Fodeco à un prix inférieur de 30% au prix local de 245 $US par mètre cube. En Europe, ce bois apprécié pour sa couleur jaune-brun et son incroyable résistance est utilisé pour fabriquer des accessoires et des meubles haut de gamme. Son prix se situe entre 1.100 et 2.000 € par mètre cube.

« Cela fait dix ans que j’exploite le bois sans permis », déclare Ekomba. « J’espérais que la Fodeco me donnerait l’argent pour me mettre en ordre et pouvoir travailler pour eux légalement, mais j’en suis toujours au point de départ ».

Une partie du bois qu’il a vendu à Fodeco se trouve toujours dans les locaux de l’entreprise, noircissant au fil du temps dans un conteneur maritime qui n’a jamais atteint la mer.

Du bois acheté à des exploitants artisanaux informels se trouve dans un conteneur d’expédition dans la base de Fodeco

Une terre riche, des gens pauvres

« Ces gens [de Fodeco] sont venus ici sans expérience et sans traducteur, ils peuvent donc difficilement communiquer avec qui que ce soit », explique un employé congolais ayant des années d’expérience dans le secteur du bois industriel, qui demande à rester anonyme par crainte de représailles. « Nous nous demandons comment ils ont obtenu la permission de lancer cette activité », ajoute-t-il en montrant des piles de rondins pourris provenant d’arbres centenaires.

Cet homme a perdu un doigt alors qu’il travaillait dans la forêt, mais n’a jamais reçu d’indemnisation ni de soins médicaux autres que les premiers secours. La loi congolaise oblige les entreprises à embaucher leurs travailleurs au bout de trois mois, mais trois ans plus tard, cet homme et ses collègues, qui ont quitté leurs familles à Kinshasa pour rejoindre Fodeco, sont encore employés comme journaliers à trois dollars par jour.

Un journalier montre la main dont il a perdu un doigt lors d’un accident de travail

Dans la région reculée de Yawinawina, d’anciens employés locaux de Fodeco se dirigent vers une clairière dans la forêt, montrant les huttes de branchages peu solides où ils devaient dormir pendant les opérations d’exploitation forestière. Pourtant, le Code Forestier de la RDC impose d’équiper ces camps de logements adéquats, d’eau potable et d’installations sanitaires.

« Une demi-tasse de riz par jour, dormir à même le sol, sans moustiquaires, sans contrat, sans dispensaire ? Sommes-nous des bêtes ? » se lamente Joseph Atuku. « Nous avions de grands espoirs que ce serait bon pour nous, bon pour la communauté ».

La société opère sur le territoire de Basoko, une zone marécageuse où se trouvent cinq concessions d’exploitation forestière industrielle, l’une des plus grandes plantations d’huile de palme de la région et une société minière qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Les ressources naturelles attirent des investisseurs de Chine, d’Europe, d’Afrique du Sud et des États-Unis, et des réseaux d’investissement enregistrés dans des juridictions secrètes telles que le Liechtenstein, l’île Maurice, les Iles Caïmans et le Delaware. Mais cet afflux de fonds n’impacte pas le niveau de vie des communautés de la région, où un enfant sur trois souffre de malnutrition chronique.

Sur les rives du fleuve, des enfants aux cheveux orange, symptôme d’une grave carence en protéines, se baignent à leur insu dans des champs de diamants, à l’ombre d’arbres aux bois précieux coûtant des milliers de dollars sur les marchés internationaux.

Jean Francis Ilinga Mokonzi est un chef traditionnel avec une coiffe en léopard, un collier de 40 défenses, chaque pièce représentant un village, et un diplôme de droit : « Notre forêt ancestrale est pillée avec la complicité de nos propres autorités. [Le gouvernement] parle beaucoup du changement climatique, mais l’administration forestière est corrompue jusqu’à l’os ».

Jean Francis Ilinga Mokonzi est un chef traditionnel et administratif de Yaliwasa, une zone reculée du territoire de Basoko

Commerce international des espèces menacées

De l’autre côté de la rivière, la société chinoise Booming Green contrôle plus d’un million d’hectares de forêt tropicale. Le géant de l’exploitation forestière, qui travaille également au Liberia, a obtenu cinq concessions en 2017, violant ainsi le moratoire sur les nouvelles opérations d’exploitation forestière industrielle. Les inspecteurs congolais l’accuse également de devoir 2,5 millions de dollars au trésor public en frais d’acquisition et en taxes.

Pourtant, leurs numéros de concession ne figurent pas non plus dans l’ordre de suspension émis par le ministère de l’environnement.

Cette enquête à eu accès à un permis d’exploitation forestière de Booming Green. Le document montre qu’en janvier 2021, le ministre de l’environnement sortant, Claude Nyamugabo, a autorisé l’entreprise à abattre 91.455 mètres cubes d’Afrormosia, soit près du double du quota d’exportation CITES approuvé pour l’ensemble du pays en 2020. Ce volume représente, également, 93 % du quota d’exportation CITES pour 2021, un chiffre qui ne fut publié que vers le fin de l’année.

Une grande partie de la production est exportée l’année qui suit l’exploitation. Cela signifie qu’à l’heure actuelle, le gros des exportations congolaises d’Afrormosia est entre les mains d’une entreprise qui brise un moratoire datant de deux décennies.

Ce permis annuel autorise la coupe d’un million de mètres cubes par saison, bien que la RDC n’ait jamais officiellement exporté plus de 400.000 mètres cubes. De plus, il cite le Moabi (Baillonella toxisperma) qui n’existe pas dans la zone, et il n’y a aucune correspondance entre le nombre d’arbres et les volumes de bois qu’il autorise à extraire, même pour l’espèce menacée Mukulungu (Autranella congolensis).

« Ce genre de permis se vend à prix d’or », explique l’expert international qui travaille sur l’amélioration de la gouvernance forestière en RDC. « Les concessionnaires pourraient les utiliser pour blanchir du bois acheté n’importe où dans le pays, pour faire passer une espèce pour une autre, et pour exporter frauduleusement des arbres menacés ».

Entre-temps, les expéditions de bois de Booming Green ont continué à quitter le port de Matadi pour des destinations telles que Jinjiang en Chine, un centre mondial de transformation du bois.

Ni Booming Green ni Fodeco n’ont répondu aux demandes de commentaires par courriel.

Enquête de Planeta Futuro et El Paí, publiée en juin 2022 par Mongabay.

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %

Average Rating

5 Star
0%
4 Star
0%
3 Star
0%
2 Star
0%
1 Star
0%

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights